Si l’apparence physique d’un personnage nous est décrite dès que celui-ci fait son apparition dans l’intrigue (pour lire le billet, c’est ici), son portrait psychologique se dévoile au lecteur tout au long de l’histoire et il est intimement lié à celle-ci : tel personnage a porté secours à tel autre ? Qu’est-ce qui justifie cette décision ? Qu’est-ce que cela montre sur sa personnalité ? Est-ce une surprise pour le lecteur ? Pourquoi ? Qu’est-ce que ce geste va provoquer comme changement pour ce personnage ? Et pour la suite de l’intrigue ? Est-ce un futur allié ? Ou bien au contraire, son geste pourrait cacher des motivations personnelles ?
La psychologie du personnage est donc le moteur de l’histoire. Les pensées, les paroles, les agissements et les interactions entre les personnages déterminent chaque étape du récit. Le personnage se dévoile ainsi petit à petit aux yeux du lecteur, à mesure que ses actions construisent l’intrigue, et qu’en retour l’intrigue le fait évoluer.
Les deux manières de dresser un portrait psychologique (aussi appelé caractérisation):
1..Explicite : le narrateur donne des informations explicites sur son personnage. Il nomme ses émotions, ses manières d’agir, ses qualités et ses défauts. Cette façon de faire est rapide, concise, facile à comprendre et surtout utilisée dans les textes destinés aux jeunes enfants.
Exemple :
Maxime est très content de découvrir le vaisseau de son ami extraterrestre.
2..Implicite : C’est le type de caractérisation le plus répandu et le plus efficace. Le narrateur évoque les caractéristiques du personnage, sans les nommer. Il décrit:
- ses pensées (opinions, sentiments, aspirations)
- ses paroles (vocabulaire, ton, opinions)
- ses actions (gestes, attitudes)
- le point de vue des autres personnages à son égard
en utilisant des comparaisons et autres figures de style pour créer dans l’esprit du lecteur des images qui dépeignent le personnage et ses émotions.
Exemple :
Maxime se fige sur le seuil de la vaste salle qui fourmille de petits êtres identiques à son ami. Il a tellement rêve à ce moment… Et maintenant, on dirait que ses genoux sont faits en gélatine !
– Waouh… parvient-il à murmurer.
La différence entre les deux types de caractérisation réside donc dans la suggestion : la caractérisation explicite dit, alors que la caractérisation implicite montre. C’est cette dernière que nous allons regarder de plus près :
Le grand avantage de la caractérisation implicite:
Elle offre au lecteur la liberté d’imaginer le personnage de façon personnelle, selon sa propre expérience de vie. La joie est un concept, mais les genoux en gélatine sont une sensation qu’il a déjà connue à coup sûr. En associant les émotions du personnage à son propre vécu, le lecteur parvient non seulement à imaginer le personnage avec plus d’acuité, mais il finit aussi par avoir une plus grande implication émotionnelle et donc plus de plaisir dans sa lecture !
Et maintenant un exemple?
L’un des personnages qui m’ont le plus amusée-agacée-surprise-attendrie-captivée est le magicien Hurle, héros ô combien douteux du spectaculaire Le château de Hurle écrit pas Diana Wynne Jones et superbement adapté en dessin animé par Hayao Miyazaki :
Allons-y pour un petit tour à travers son portrait:
Première impression, plutôt bonne:
Elle considéra, stupéfaite, le grand jeune homme vêtu d’un éblouissant constume bleu et argent qui suspendit son geste de poser une guitare dans un coin. La curiosité se lisait dans ses yeux vert d’eau. Il repoussa ses mèches blondes pour mieux la dévisager à son tour. Son visage allongé aux traits anguleux traduisait une grande perplexité.
Édition Le Pré aux Clercs 2002, Page 65
Et hop! premier défaut, monsieur gaspille:
– Qu’est-ce que tu fais ? demanda Sophie.
– Oh ! Calcifer et moi on essaie de mettre un peu d’argent de côté, dit Michael assez penaud. Sinon, Hurle dépense jusqu’au dernier sou.
– Un incorrigible panier percé ! fulmina Calcifer. Il va dépenser l’argent du roi en moins de temps que je n’en mets pour brûler une bûche. Pas un grain de bon sens !
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Et de deux, il est aussi un brin trop coquet :
Hurle choisit ce moment pour émerger de la salle de bains dans un effluve de parfum. Il était pimpant et soigné jusqu’au bout des ongles. Même les broderies et incrustations d’argent de son habit semblaient étinceler davantage.
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Enfin une qualité : expert en sortilèges. Mais il est quand même brouillon, impatient, dissipé, on ne compte même plus…
Assis à l’établi, il travaillait à l’élaboration de sortièges, plus vite et plus intensément que Michael. Il avait une main experte, mais brouillonne. À voir l’expression de Michael, il s’agissait de sorts peu usités, difficiles à réaliser. Hurle abandonnait couramment une tâche pour monter quatre à quatre dans sa chambre chercher quelque ingrédient secret et sinistre, sans nul doute. Puis il fonçait brusquement dans la cour se livrer à quelques bricolage pour les besoins d’un autre enchantement.
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Mais il a un grand cœur malgré tout :
Hurle se montrait tout aussi patient et poli envers ses clients des Havres ; l’ennui, comme le souligna Michael avec inquiétude, c’est qu’il ne leur demandait pas assez d’argent. Il pouvait écouter pendant toute une heure une femme de marin lui expliquer pourquoi elle ne pouvait pas lui verser un sou pour l’instant, puis promettre à un capitaine un sortilège contre le vent pour presque rien.
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Il peut être drôle, même si ça ressemble plus à de l’ironie :
– Chère Sophie, salua-t-il. Toujours débordante d’activité ! Vous ne vous êtes pas ménagée hier, je crois, malgré mes recommendations ? Puis-je savoir pou quelle raison vous avez transformé en puzzle mon plus beau costume ? À titre d’information amicale, bien-entendu.
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Dédaigneux des convenances :
Tu nous fais honte, à Gareth et à moi, à te balader habillé comme ça au lieu de t’acheter un vrai costume qui te donnerait l’air respectable, pour une fois. […] Avec toutes les études que tu as faites, tu n’as même pas de travail décent, tu ne fais que traîner, quel gaspillage ! Tant d’années d’université, tant de sacrifices que d’autres ont faits pour toi, tout ton argent qui file…
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Séducteur:
– Comment se fait-il que vous me connaissiez, mademoiselle ? modula-t-il de sa voix de séducteur.
– Vous avez donné lieu à bien des bavardages dans cette ville, répondit Mlle Angorianne qui triait activement les papiers posés sur sa table.
– Et que vous ont appris les bavards ? demanda Hurle, langoureusement penché sur la table et essayant de capter le regard de l’institutrice.
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Menteur par dessus le marché :
– Vous devez savoir que j’écris ma thèse de doctorat sur les sortilèges et les envoûtements. Vous semblez vouloir me suspecter de pratiquer la magie noire ! Je peux vous l’assurer, je n’ai jamais fabriqué le moindre sortilège de ma vie. (Sophie ne put se retenir d’un pincement de nez indigné devant ce mensonge éhonté.) Je vous l’affirme la main sur le cœur… (Sophie fronça un sourcil irrité.) Je n’utilise ce sortilège qu’à des fins d’étude.
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Avec un penchant pour la sensiblerie:
Entre temps, des gémissements et des lamentations avaient commencé à se faire entendre de façon insistante à l’étage supérieur. […] Puis résonna une toux caverneuse qui s’achevait sur une plainte, que Sophie ignora également. Puis une serie d’éternuements explosifs firent vibrer la fenêtre et toutes les portes […] Suivit le bruit de trompette d’un nez qu’on mouchait, qui tenait plutôt du basson s’exprimant dans un tunnel. La toux recommença, entrecoupée de gémissements. Les éternuements s’y mélêrent, et le tout monta crescendo jusqu’à un paroxysme où Hurle semblait capable de tousser, gémir, se moucher, éternuer et se lamenter simultanément. Les portes vibraient, les poutres tremblaient au plafond, l’une des bûches de Calcifer roula hors du foyer.
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Et pour couronner le tout, peureux et fier de l’être :
– Et pourquoi faisiez-vous semblant de fuir ? Pour tromper la sorcière ?
– Pas tellement ! mugit Hurle. Je suis un poltron. Je n’arrive à faoire des choses aussi effrayantes qu’en me jurant que je ne vais pas le faire !
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Bref, un personnage plus qu’imparfait mais que ses actions rendent fort attachant et qui grandit tout au long du récit malgré ses tiraillements intérieurs. Par ailleurs, ceux-ci sont complétement éclaircis et justifiés dans la grandiose conclusion du roman, que j’espère vous dévorerez bientôt si ce n’est pas déjà fait! 🙂
Sources:
Le château de Hurle, Diana Wynne Jones, Le Pré aux Clercs, 2002
Crédit image: Flat barber shop elements et Hipster man and his elements, de freepik.com
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Ton billet est très enrichissant une fois de plus. J’aime toutes ces comparaisons en utilisant les bons termes que tu nous sers. J’apprends beaucoup et ça m’aide à mieux comprendre certains détails simples mais importants pour la construction d’un récit. 🙂 Ce roman semble très bon aussi. C’est de la littérature anglaise?
Merci Milly pour ta visite et ton petit mot. Oui, c’est une auteure britannique, elle a aussi écrit la série Chrestomanci. Ton petit côté victorien aimerait bien je crois 😉 https://fr.wikipedia.org/wiki/Chrestomanci