La première impression
Lors d’une nouvelle rencontre, la première opinion se forme dans les 30 premières secondes. Deux ou trois détails physiques nous sautent aux yeux, on devine un trait de personnalité dominant et on tranche: sympathique ou pas.
C’est pareil dans la vie fictive. Contrairement au portrait psychologique, qu’on découvre petit à petit tout au long de l’intrigue, le portrait physique d’un personnage nous est présenté dès la première apparition de ce dernier. Son but? Utiliser des détails physiques pour glisser des indices sur la psychologie du personnage et éveiller l’intérêt du lecteur : est-ce un personnage principal? Est-il digne de confiance? Que transporte-t-il dans ce sac en plastique opaque? Et quelle est l’origine de ce petit accent étranger? Même si la psychologie du personnage change au cours de l’intrigue, ou s’il s’avère être totalement différent de ce que le narrateur nous a laissé croire au tout début, si le personnage nous accroche émotionnellement dès la première rencontre, alors l’intrigue nous accrochera aussi.
Comment dresser un portrait physique?
L’auteur a certainement rempli un tas de fiches pour ses personnages, et il connaît sans doute leur poids, leurs tics et leurs chaussettes préférées. Mais le lecteur, lui, n’apprend que les caractéristiques physiques essentielles, celles qui laissent deviner certains traits de caractère. Lesquels? Ceux qui vont définir le rôle du personnage dans l’intrigue : son regard est-il franc? Son attitude est-elle menaçante? A-t-il des blessures qui trahissent une vie dangereuse? Ses habits laissent-il deviner un goût pour l’opulence?
Car en fin de compte, tous les personnages sont au service de l’histoire – même si celle-ci est la leur – et c’est à travers leur personnalité et leurs actions que l’intrigue avance.
Trois questions à se poser avant de commencer le portrait physique d’un personnage
Quand on crée un personnage pour les enfants, on doit s’assurer d’éveiller leur intérêt. La manière dont on présente l’aspect d’un personnage dépend de ces trois facteurs:
1..Est-ce un personnage principal ou secondaire?
Plus un personnage a de l’importance dans le récit, plus les détails de son apparence et de son attitude seront nombreux afin d’éveiller la curiosité du lecteur sur son passé, ses motivations et son rôle dans l’histoire.
Exemple du portrait physique d’un personnage secondaire :
« un vieux gentleman à l’allure martiale, assis seul à une table disposée devant la fenêtre, occupé à découper son toast en triangles parfaits, avant d’y étaler du beurre et de la marmelade avec de brusques allers et retours de son couteau. »
L’Hôtel étrange, Philip Reeve, Gallimard jeunesse 2007, Page 63
Et celui d’un personnage principal :
« … et leur fidèle carabine à éléphant. Mon sauveur possédait effectivement une arme de ce genre, mais, à part cela, il ne ressemblait pas du tout aux chaseurs décrits dans les livres. À vrai dire, il ressemblait davantage à un garçon, un peu plus âgé que Myrtle. Il portait des cuissardes et un très vieux chapeau de feutre à large bord, et son visage, seule partie à ne pas être recouverte par sa combianison spatiale goudronnée, était brun comme du thé longuement infusé. La multitude de couteaux et de revolvers glissés dans sa ceinture lui conférait un air désespéré, … »
Planète Larklight, Philip Reeve, Gallimard Jeunesse 2007, Page 62
2..Quel est l’âge des lecteurs ciblés?
Pour les plus petits, les descriptions sont simples et directes, mais plus le public vieillit, plus elles éveillent des émotions et stimulent l’imagination.
Exemple d’un personnage destiné à des lecteurs de 3 à 6 ans:
Le petit dernier n’est encore qu’un bébé. Cet adorable petit garçon s’appelle Timi, en hommage à son grand-père Tim. Il ne tient pas en place, il voudrait déjà être plus grand. Il a deux grandes oreilles. Chez les trolls des Forêts, c’est un signe de beauté. Elles lui permettent aussi d’entendre mieux que n’importe quel troll.
365 Histoires de Trolls, Editions Gründ, Page 1
Et un autre pour un public de 12 ans et plus:
Harold est un type à part. […] on dirait qu’il est souvent absent, même quand il est là. Il a des yeux en forme d’amande qui changent tout le temps de couleur. […] Il est maigre comme un os, pâle comme quelqu’un de souvent malade. Williams et sa bande l’appellent « le squelette », ce qui n’est pa très gentil, seulement ils n’osent jamais l’attaquer, même tous ensemble. Je crois qu’ils ont peur de lui.
La sorcière de Midi, de Michel Honaker, Rageot Éditeur 2004, Page 15
3..Quelle est la nature du personnage?
Est-il bienfaisant? Inquiétant? Amoureux? Fatigué? Espiègle? Chaque personnage dégage une émotion prédominante. Cette émotion est d’autant plus fortement ressentie par le lecteur si elle est décrite à l’aide d’un vocabulaire qui évoque l’émotion en question.
Exemples :
Sentiment de danger : Elle est là, debout sur le seul. Ses yeux brillent comme des boutons de verre. On ne voit plus qu’eux dans la nuit qui vient d’envahir la cabane. Elle écarte les pans de son manteau mité pour nous barrer le passage. Elle porte un tranchoir à la ceinture, et aussi des quantités d’autres poupées attachées comme les porte-clés qu’on donne à la station-service. Là, je sens que je vais vomir de peur.
La sorcière de Midi, de Michel Honaker, Rageot éditeur 2004, Page 175
Sentiment de confiance : Pourtant Michael n’avait pas l’air servile. C’était un garçon brun au visage ouvert, sympathique, très correctement vêtu. À vrai dire […] Sophie l’aurait pris pour le fils d’un fermier prospère.
Le château de Hurle, de Diana Wynne Jones, Le Pré aux Clercs 2002, Page 50
Sentiment de dégoût : Il y a bel et bien un troll Morveux devant l’igloo. Les trolls des Forêts les trouvent dégoûtants. Ils ont toujours le nez sale et ne se lavent jamais. Leurs habits non plus ils ne les lavent presque jamais, et jamais ils ne se coiffent. Ils ont donc tout le temps des saletés plein les cheveux.
366 Histoires de Trolls, Éditions Gründ, Page 234
Cinq points à vérifier au moment de peaufiner le portrait physique de son personnage
- Mon personnage se distingue-t-il suffisamment des autres personnages? Est-il assez original par rapport aux autres personnages pour ne pas égarer le lecteur?
- Provoque-t-il une émotion immédiate chez le lecteur?
- Semble-t-il assez complexe? Est-il assez intrigant, pour éveilleur l’envie d’en savoir plus sur lui? Possède-t-il assez de contradictions pour être complexe tout en restant cohérent?
- Mon personnage évite-t-il les clichés tels que l’espion russe, la princesse délicate et passive et le méchant qui est méchant sans aucune raison?
- Sa description est-elle assez concise? Les mots et les images sont-ils suffisamment forts pour rendre les portrait assez bref et marquant à la fois?
- Les traits de personnalité évoqués par le portrait physique sont-ils tous utiles à l’intrigue?
Et vous, qu’est-ce que vous aimez le plus dans le portrait d’un personnage? Avez-vous des trucs pour construire des personnages percutants? Des expériences à partager? N’hésitez pas, vos commentaires sont bienvenus!
Source:
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Bonjour Silvia! 🙂 C’est difficile pour moi d’ajouter à ta liste si riche en conseils. Toutefois, s’il y a quelque chose dont j’ai de la difficulté, c’est bien de faire un portrait physique d’un personnage. Probablement, parce que moi-même (surtout dans les romans), j’ai du mal à ‘voir’ un personnages d’après les descriptions qu’on en fait. Bizarrement, j’aurai plus de facilité à mettre un visage avec la ‘nature’ décrite du personnage qui me donnera une idée de son expression faciale du moment selon le sentiment qu’il ressent: ridules, sourcils froncés, nez plissé par dégout, lèvre tremblante par tristesse etc..
Mais je trouve que ton texte sur ‘Comment dresser un portrait physique’ m’aidera sûrement. Un billet super intéressant Silvia! Merci encore pour ces informations toujours très stimulantes, qui donne envie d’avancer dans le projet commencé!!! 😀
Salut Milly! Moi aussi je trouve qu’il m’est plus facile de retenir le visage d’un personnage si je l’associe à une expression. Et c’est pareil dans la vie de tous les jours avec des personnes que je rencontre pour une deuxième fois. Je me rappelle plus facilement leur visage si la première fois j’avais cru y voir une émotion. Comme quoi les grimaces ont du bon! ;D