Pour captiver l’intérêt des lecteurs en général et des enfants en particulier, il faut s’assurer de garder leur attention et éveiller leur curiosité. Deux ingrédients donc à ne pas oublier quand on écrit un dialogue pour les enfants: la concision et l’effet de surprise.
La concision
Faire parler ses personnages moins et mieux
- Dans la vraie vie, les dialogues partent souvent dans tous les sens : politesses, répétitions, égarements, éternuements et autres petits pépins qui n’ont rien à voir avec la personnalité des interlocuteurs, ni avec l’essence de la conversation. Par contre, dans un roman, ce genre de dialogues deviendrait rapidement ennuyeux. C’est pourquoi les personnages ne disent que ce qui sert à souligner leur personnalité et à faire avancer l’intrigue.
- Les tics de langage, les hésitations ou les balbutiements de nos personnages peuvent souligner tel ou tel trait de caractère, mais ils peuvent devenir répétitifs à la longue. À utiliser donc au compte-gouttes, et ce même dans les incises.
Peser les narrations et les incises narratives
- Plus les narrations qui sont entremêlées au dialogue sont longues, plus elles le ralentissent. Alors on peut s’en servir à l’occasion pour bâtir un moment de suspense, et/ou pour laisser au lecteur le temps d’absorber une information importante:
– Kamo… Il faut que tu cesses d’écrire à Catherine Earnshaw.
– À Cathy ? Pourquoi ?
– Parce qu’elle est morte depuis deux cents ans.
Jamais aucune réaction ne me surprit davantage que celle de Kamo à ce moment-là.
Kamo L’agence Babel, Daniel Pennac, Gallimard Jeunesse 1997, page 51
- Mais si les narrations sont trop longues, elles pourraient créer un alourdissement et il alors il faudrait les épurer.
- Pour alléger une narration ou une incise, on peut réduire le nombre d’adjectifs et d’adverbes en utilisant plutôt des verbes introducteurs expressifs (vous pouvez trouver une liste bien fournie ici). Par exemple, « dit-il d’une voix terriblement forte» pourrait devenir « tonna-t-il ».
- Moins il y a de détails sur le cadre, plus ils ont de poids. Le but étant de créer une ambiance qui reflète le ton du dialogue, il vaut mieux choisir des détails qui provoquent chez le lecteur la même émotion que celle qui est créée par la discussion des personnages. Ici, l’image de la fumée qui se lève appuie la révélation qui est faite au narrateur:
– Ça alors! m’écriai-je en observant la jeune femme à travers le voile de fumée qui se dissipait. Vous marchez!
L’hôtel étrange, Philip Reeve, Gallimard Jeunesse 2008, page 161
La surprise :
Varier les situations et les points de vue
- Un personnage qui allume la curiosité du lecteur est un personnage qui surprend. Alors comment rendre un personnage imprévisible? On le confronte à des situations variées, qui vont révéler différentes facettes de sa personnalité. Mais attention, une grand-maman mécontente fronce les sourcils, pince les lèvres et à la limite hausse-t-elle un peu la voix, mais jamais elle ne devrait se mettre à lancer des casseroles et des jurons dignes d’un pirate éméché (et le contraire non plus). Autrement dit, le vocabulaire et l’attitude d’un personnage vont forcément changer selon son état d’esprit, mais ils doivent toujours rester cohérents avec sa personnalité.
- Si tout le monde était d’accord, il n’y aurait pas de discussions. Mais plus les points de vue diffèrent, plus le dialogue ouvre des pistes de réflexion pour le lecteur. Alors veillez à ce que vos personnages aient des opinions et des personnalités différentes et laissez-les se mesurer: le dialogue sera plus riche, il fera avancer le récit plus vite, et dévoilera mieux le caractère de vos personnages:
– Trois sur vingt en anglais !
La mère de Kamo jetait le carnet de notes sur la toile cirée.
– Tu est content de toi ?
Elle le jetait parfois si violemment que Kamo faisait un bond pour éviter le café renversé.
– Mais j’ai eu dix-huit en histoire !
Elle épongeait le café d’un geste circulaire et une seconde tasse fumait aussitôt sous le nez de son fils.
– Tu pourrais bien avoir vingt-cinq sur vingt en histoire, ça ne me ferait pas avaler ton trois en anglais !
C’était leur sujet de dispute favori. Kamo savait se défendre.
– Est-ce que je te demande pourquoi tu t’es fait virer de chez Antibio-pool ?
Kamo L’agence Babel, Daniel Pennac, Gallimard Jeunesse 1997, page 51
Faire rire
- Pour surprendre, rien de plus efficace que l’humour. Rien de plus difficile, non plus, car il s’agit de bien connaître les enfants du groupe d’âge auquel on s’adresse, pour ensuite emprunter un humour qui les rejoint: des mots aux sonorités rigolotes (tituber, zézaiement, roulé-boulé…), des associations farfelues, des situations cocasses, des jeux de mots, des expressions détournées, un peu d’argot, une petite ironie pas trop méchante par-ci par-là pour les plus vieux… Mais toujours en évitant de tomber dans la vulgarité et surtout en évitant de trop en faire, car l’humour n’est pas une fin en soi mais un ingrédient qui sert à mieux savourer un message.
– C’est pas une lettre, c’est un champ de bataille! mulmura Kamo dont les sourcils s’étaient froncés. Bon, alors, qu’est-ce qu’elle dit?
Kamo L’agence Babel, Daniel Pennac, Gallimard Jeunesse 1997, page 22
- Plutôt que de s’attarder sur de longues descriptions dans les narrations et les incises, utilisez des métaphores rigolotes:
Et ce qu’il m’a dit m’a dit m’a tellement surpris que ma bouche s’est ouverte avec un bruit de ventouse qu’on décolle.
Kamo L’agence Babel, Daniel Pennac, Gallimard Jeunesse 1997, page 64
Vous l’aurez deviné, Kamo est l’un de mes grands chouchous en papier. Pour le découvrir ou le retrouver, voici toutes ses aventures: Kamo L’agence Babel, Kamo et moi, Kamo L’idée du siècle, L’évasion de Kamo.
Et pour finir, si vous voulez en lire plus sur le dialogue, je vous invite à jeter un coup d’oeil sur les quatre manières dont il éveille les émotions du lecteur, juste ici.