Ces dialogues qui nous accrochent, qui nous envoûtent, qui nous font vivre mille ailleurs. Comment s’y prennent-ils pour faire d’une histoire un univers?
Avec des émotions. Celles que les personnages éprouvent, celles qu’ils échangent, celles qu’ils transmettent au lecteur. Les émotions, c’est ce qui transforme de simples mots en paroles, en leur insufflant une personnalité, des tons, des gestes, en un mot : de la vie.
Dans un dialogue, les émotions sont créées par l’un ou plusieurs des ingrédients suivants : la vraisemblance, la surprise, l’ambiance et le suspense.
Des dialogues vraisemblables
Chaque personnage possède un vocabulaire qui fournit des indices sur sa personnalité. De plus, les paroles de chaque interlocuteur sont complétées par des incises qui décrivent son ton, ses gestes et ses mimiques et qui renseignent sur son état d’esprit, permettant ainsi au lecteur de se forger des sentiments positifs ou négatifs à son égard.
– Jolie robe, commenta Jack galamment, quand je l’autorisai à se retourner, après m’être changée.
– Pas la peine d’essayer d’être poli, répliquai-je. J’ai appris à ne rien attendre de vous.
Il parut surpris, puis il dit :
– Oh, vous faites allusion à toutes ces lettres que vous m’avez envoyées, et auxquelles je n’ai pas répondu. Je suis navré. Voyez-vous, écrire ce n’est pas mon fort et je… En tout cas, vous avez une jolie robe.
– C’est un costume de bain, rectifiai-je, refusant de me laisser amadouer.
– Ah bon ? Pourtant, il y a du rembourrage derrière.
– C’est un système de sécurité. Je crois que si on tire sur ce cordon, ça se déplie pour faire un petit canot.
– Nom de D… !
L’hôtel étrange, Philip Reeve, Galimard Jeunesse, page 147.
Des dialogues qui pétillent
Originalité, audace, folie, tout ce qui sort des sentiers battus (mais reste dans les limites de la courtoisie) attise la curiosité du lecteur et lui donne envie d’en savoir plus, plus vite.
Il attrapa la bête et la regarda de près :
– Qui es-tu, toi ?
– Je suis une jeune fille.
– Comment t’appelles-tu ?
– Mireille.
– Mireille, je t’aime. Je voudrais t’épouser.
– Pose-moi d’abord à terre, et je te répondrai.
Le géant la posa par terre, et Mireille s’enfuit à toutes jambes en criant : Aaaaaah !
La sorcière de la rue Mouffetard et autres contes de la rue Broca,
Pierre Gripari, Gallimard Jeunesse, page 30.
Des dialogues rehaussés par une ambiance
Les émotions des personnages sont mises en valeur par de brèves descriptions du cadre. Ces détails sont choisis de manière à refléter l’état d’esprit des interlocuteurs et créer une ambiance qui accentue leurs émotions. On retrouve parfois ces éléments du décor dans des incises, mais surtout dans de brefs passages descriptifs qui entrecoupent le dialogue.
Une chandelle était posée sur la table de toilette, face au miroir. Elle venait juste d’être soufflée, la mêche fumait encore.
– Puis-je entrer ? demandai-je, levant mon propre chandelier de manière à éclairer le visage d’Alice. J’ai un service à te demander.
Elle acquiesça, s’écarta pour me laisser passer et referma la porte.
– J’ai besoin de lire un livre en latin. Maman m’a dit que tu pourrais m’aider.
L’apprenti-épouvanteur, Joseph Delaney, Bayard jeunesse, page 217.
Des dialogues qui créent du suspense
Au cœur de toute histoire fictive, on retrouve des conflits, ou obstacles que le ou les personnages doivent surmonter. Un conflit se définit par tout ce qui provoque des sentiments contradictoires. Un conflit peut être intérieur (chez un seul personnage), ou extérieur (diviser plusieurs personnages). Il peut prendre la forme d’un désir, d’une mésentente, d’un échec, d’une histoire d’amour incertaine. S’il n’y avait pas de conflits, il n’y aurait rien à résoudre, donc pas d’interrogations, pas de surprises, pas d’histoire. Un conflit, c’est ce qui crée de la tension. Plus il y a de la tension, plus les personnages deviennent imprévisibles. Et plus ils éveillent l’intérêt du lecteur.
Il posa sa guitare dans l’angle du mur et s’approcha de la cheminée. Les effluves de jacinthe se mêlèrent à l’odeur du bacon grillé. Il écarta Sophie d’un geste sans réplique.
– Calcifer ne supporte pas de cuisiner avec quelqu’un d’autre que moi, dit-il en s’agenouillant.
Il isola sa main de la chaleur du manche à l’aide d’un pan de sa chemine brodée.
– Passez-moi encore deux tranches de bacon et six œufs, je vous prie, et expliquez-moi pour quelle raison vous êtes venue jusqu’ici.
Fascinée, Sophie contemplait la pierre bleue qui pendait à l’oreille de Hurle tout en lui passant les œufs un à un.
– Pourquoi je suis venue, jeune homme ? (Après ce qu’elle avait vu de l’état du château, la réponse lui parut aller de soi.) Eh bien, parce que je suis votre nouvelle dame de ménage, bien entendu.
– Vraiment ? s’étonna Hurle en cassant les œufs d’une seule main avant de jeter dans le feu les coquilles que Calcifer dévora gloutonnement. Qui a décidé une chose pareille ?
Le château de Hurle, Diana Wynne Jones, Le Pré aux Clercs, page 66.
Dernière mise à jour: 8 février 2017
Sources:
Dialogue : techniques and exercices for crafting effective dialogue, G. Kempton, Writer’s Digest Books, 2004
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